jeudi 7 juin 2012

App... surdes, mais réelles

On croit rêver. Les idées les plus débiles — tiens, je vais évaluer le mot « débile », en passant — trouvent une matérialisation dans notre quotidien. Classer, ranger, faire des moyennes sur... le vivant dans son ensemble ! Préoccupation de geek ou simple ambition commerciale ? Les deux ?
Voyez ici Jotly, un bonne blague au départ devenue réalité.


Voyez également ce qu'en disent le Wall Street Journal, Wired et Slate.fr qui reprend en partie les informations des deux premiers.

mardi 5 juin 2012

Lorsque les « amis » jauniront comme du papier...


Lorsque j'avais dix ans justement, je collectionnais les vignettes Panini (foot, magie, animaux...), quelques billes et diverses babioles dont j'ai perdu toute trace. Mes albums de vignettes autocollantes doivent être encore dans un vieux cartable scolaire, dans le grenier de ma mère, avec mes billes et sans doute les autres babioles dont je retrouverais la trace si j'y mettais le nez.
James Emery, CC BY
Je pense à ces doux chérubins lorsqu'ils auront mon âge et même bien avant ; recaleront-ils au grenier voire à la poubelle de la même façon que moi leurs collections d'amis facebookien, ceux à qui ils « n'ont rien à dire » ?
Même si on sait qu'un ami sur Facebook n'est pas forcément un « ami » — vous savez, le vieux truc humain sur qui on peut compter quand ça ne va pas et particulièrement quand ça ne va vraiment pas — le média social propose en tout cas une façon inédite de gérer les relations humaines.
À quand les profils Facebook qui jaunissent comme les albums Panini dans nos greniers, faute de « liker », de « poker » ou de souhaiter un « hbd » — Happy birthday — à nos amis sur Facebook ?
Allez Mark, un petit effort...

jeudi 1 décembre 2011

De la déconnexion à la liberté d'esprit


La thèse de Baudrillard montre en somme que la société de consommation n’est pas un univers isolé dont les principes commerciaux, même les plus larges, seraient distillés dans la société libérale afin de guider ceux qui y vivent vers une finalité d’achat. Elle est au contraire un environnement complet dans lequel chaque individu, chaque groupe reçoivent des informations qui les poussent à… consommer ! Tout ce qui a pu être identifié comme artefact culturel, avant l’ère de l’industrialisation de nos sociétés au 19e siècle, a été recyclé — avec le concours important des mass-media — pour devenir un bien de consommation. Si bien que la culture mass-médiatique — que nous identifions aujourd’hui par le terme générique de culture — n’est pas une culture au sens où on l’entendait avant l’industrialisation de nos sociétés occidentales, mais une sous-culture principalement mue par des intentions mercantiles.

L'analogie à Matrix des frères Wachowski

Les frères Wachowski qui réalisèrent la trilogie Matrix à la fin des années 1990 ont souvent expliqué dans des entrevues que la pensée de Baudrillard, parmi les nombreuses références qui ont inspiré cette construction mythologique, avait servi de base à l’écriture de leur scénario. En effet, si le propre de l’Homme, à l’instar de Néo[1], est une quête perpétuelle de liberté, il doit alors se couper de tout ce qui le relie à une société construite sur des principes si éloignés de la nature humaine, qu’il est incapable de réaliser qu’ils sont dissonants avec cette même nature qui est pourtant la sienne.
Cette dichotomie — marxienne, finalement, car elle fait directement référence à l’aliénation de l’Homme au travail, le constat de Marx dans le Capital — est représentée dans Matrix par une opposition radicale entre deux sociétés : Sion, le petit monde libre des humains reclus dans les entrailles de la Terre et le monde des machines qui en ont envahi la surface, les deux se faisant la guerre. Entre ces deux sphères concentriques se trouve la majorité de l’humanité, cultivée par les machines dans le but d’en récupérer l’énergie électrique, lesquelles machines injectent dans les cerveaux de ces humains l’image d’une société que l’Homme a l’illusion d’avoir construite. La matrice, c’est cette représentation sociale du monde logique, cohérent et qui se prête volontiers à une conception imaginaire et donc idéale de la vie humaine — la caverne de Platon, en quelque sorte —, mais en réalité entièrement sous le contrôle des machines. Se libérer des machines — ou se déconnecter de la matrice — c’est donc en fait critiquer la raison hégélienne, l’implacable logique comme l’on fait Kant, Marx et plus tard Foucault, Deleuze, Derrida ou Martín-Barbero.
Mais la matrice des Wachowski, c’est aussi une métaphore de la société de consommation de Baudrillard dans laquelle nous baignons chaque minute et qui, malgré nos efforts de désaliénation malheureusement à temps trop partiel pour nous permettre de produire une pensée libre et indépendante, nous conduit à déléguer à autrui la fabrication de nos biens afin de les consommer — donc les épuiser — pour les désirer à nouveau.

De nombreux cinéphiles et quelques philosophes ont longtemps reproché aux frères Wachowski la conclusion de la trilogie Matrix où on voit Néo — l’Élu, selon le prophète Morpheüs — dans une position particulièrement christique, anéantir à lui seul le monde des machines en injectant son esprit libre — donc irrationnel — dans le siège de l’intelligence artificielle — donc rationnelle — qui gouverne le monde réel. On pourrait en effet penser que la voie qui consiste à croire en Néo est celle qui mène vers la liberté.
Pourtant, durant toute son histoire, Néo ne montre aucun prosélytisme ; mieux encore, il est persuadé qu’il n’est pas l’Élu que cherche Morpheüs qui, quant à lui, a endossé les fonctions de guide spirituel de Sion en prônant la foi vers la liberté. Ce qui motive Néo, c’est l’amour, expression humaine la plus irrationnelle qui soit, l’amour qu’il perd juste avant d’abandonner son esprit dans les machines. Néo n’est donc certainement pas une incarnation postmoderne du Christ — qui libérait les hommes en réalisant des miracles qu’ils ne pouvaient pas faire eux-mêmes —, mais plutôt une figure d’homme libre, une résurrection anachronique comme l’entend Baudrillard justement, que l’amour — et donc la déraison — fait vivre jusqu’à sa mort physique. Pour être libre, il ne s’agit pas de croire en Néo, mais d’être le Néo.


[1] On notera d’ailleurs que le personnage principal des frères Wachowski porte le même nom que le Néo, la « résurrection anachronique » de Baudrillard, seul catégorie d’humain capable se libérer du carcan consumériste omniprésent.

mercredi 5 octobre 2011

Lorsque les réseaux sociaux n'ont plus d'utilité...

Ce post fait référence d'abord à l'émission Place de la toile du 1er octobre 2011, produite et animée par Xavier de la Porte sur France-Culture, lequel blogue son commentaire hebdomadaire sur un artéfact (livre, article, vidéo...) qui a lu, vu ou entendu.
Cette semaine, il s'agissait en l'occurrence d'un article de A.G. Sulzberger titré « Dans les petites villes, les rumeurs qui circulent sur le web deviennent nocives » publié dans le New York Times du 19 septembre 2011. L'article fait en effet référence aux fâcheuses conséquences qu'ont eu la mauvaise utilisation (diffamation et calomnies anonymes) d'un forum communautaire dans la petite ville américaine de Mountain Grove (5000 hab.).

Xavier de la Porte commente par ailleurs cet article ici. Le texte ci-dessous est donc en quelque sorte une réécriture du commentaire que j'ai posté sur son blog Internet Actu.
 
Jennifer James, l'une des victimes des ragots transportés par le forum communautaire de Mountain Grove (Mo) — Photo de Steve Hebert pour le New York Times

L'article de Sulzberger semble créer en effet un certain émoi — un tant soit peu extrapolé — alors qu'il devrait plutôt nous faire réfléchir. D'aucuns diront qu'il s'agit une fois de plus d'une attaque contre la liberté d'expression tout azimut qui doit régner sur internet. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une piste de réflexion vers ce à quoi servent les innovations (au sens sociologique du terme) et en l'occurrence ici les forums et/ou les réseaux sociaux.
Avant de s'emporter et de sauter sur ses grands chevaux, il serait sans doute recommandable d'allez fouiller un peu dans les rayons des biblitohèques universitaires de sciences humaines (sociologie, psycho, ethno…) qui regorgent de mémoires, de thèses et d’études sur les cultures populaires rurales et qui mettent en évidence, de façon directe ou indirecte, des phénomènes de rumeurs qui, lorsqu'ils enflent dans de petits espaces, génèrent des drames, comme ceux qu’a observé Sulzberger.
On peut difficilement reprocher à ce journaliste d’avoir pris la peine d’interviewer Christian Sandwig, chercheur à Urbana dans l’Illinois, histoire d’éclairer les comportements divers et variés — mais quand même pas géniaux — de la petite ville de Mountain Grove. Quand on est journaliste au NYT et qu’on va chercher le point de vue d’un universitaire comme Sandvig, réputé pour ses prises de positions plutôt libérales quant à l’intégration des nouvelles technologies dans l’éducation pour qu’elles deviennent des outils à part entière dans notre vie quotidienne, je ne pense pas que la démarche soit « néophobe », comme on peut le lire.
Le problème qui est posé est ce qu’on fait des comportements humains y compris les plus séculiers, orduriers ou non, à l’heure où les vecteurs de communication publique se transforment et se multiplient de façon exponentielle.
Le propos n’est pas de dire « Internet, c’est mal, donc on bloque tout », mais peut-être de réfléchir aux outils — techniques, éthiques, moraux, sociaux… — qui manquent à n’importe quel citoyen. Il est évident que les sphères rurales et urbaines ne partagent pas les mêmes valeurs d'usage, en ce qui concerne la communication. Déjà parce que cette notion de l’anonymat disparaît dans les petites villes (voir le commentaire de Zaapataa, en fin de blog de Xavier de la Porte). C’est d’autant plus vrai en Amérique du Nord et encore plus aux États-Unis où le communautarisme est si développé dans les milieux ruraux qu’il est devenu une condition de survie sine qua non à ces macrosociétés qui priorisent une vie de tous les jours à l’échelle humaine.
Regardons par ailleurs les choses dans l’autre sens : la solidarité entre les individus n’est pas une chose courante dans les grandes villes où règne l’anonymat. Les réseaux sociaux et les forums, pour le coup, viennent combler ce vide et jouent un rôle de lien social. En cela, ce sont plutôt les arguments de Topix, la société qui hébergent le forum local de Mountain Grove, qui sont contestables en se dégageant de toute responsabilité de diffamation et en se protégeant derrière le premier amendement de la constitution américaine.
Je crois au contraire que cet article du NYT soulève de vrais problèmes de société où les innovations sont toujours assorties d’un mode d’emploi — trop ? — standard qui ne tient pas compte des catégories d’usagers vers lesquelles ces nouveautés sont destinées.