dimanche 6 février 2011

Souvenirs d'un début de convergence

Billet relatif au module #4

Relier les informations entre elles… Quel journaliste n’en a jamais rêvé ? Il se trouve que j’ai eu la chance de venir faire mes études au Canada bien avant de venir contempler les graffitis des murs des souterrains de l’université Laval. C’était au début des années 1990 à l’université de Moncton (N.-B.). Pour l’étudiant au bac en Info/Com que j’étais, l’année était on ne peut plus riche sur le plan international : après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, les États-Unis décidaient finalement d’intervenir militairement en Irak au début de l’année 1991.
L’informatisation de l’université de Moncton était déjà bien avancée. Certaines facultés commençaient même à exiger des étudiants que leurs travaux soient rédigés à l’aide traitement de texte. Le décalage était énorme pour moi, fraîchement débarqué de France, où les ordinateurs dans les universités ne servaient qu’à faire des calculs ou modéliser des objets en deux dimensions. Il faut néanmoins préciser que je venais de l’univers des sciences dites « exactes », à l’époque, seul « royaume » où les ordinateurs avaient un rôle.
Je me souviens aussi qu’on utilisait Windows 3.0 qu’il fallait lancer en tapant une commande... MS-DOS ! On avait alors accès à une petite batterie de logiciels bien plus graphiques qu’habituellement dont un traitement de texte qui tentait de montrer à l’écran ce qu’il allait imprimer, après quelques semaines de domptage, il faut bien l’avouer.
Parallèlement, je me souviendrai toujours de Bernard Derome, le premier soir de l’intervention américaine dans le Golfe, le 16 janvier 1991, qui nous répétait inlassablement « on est en guerre » (Société Radio-Canada, 1991). Je me souviens de tout cela, car, moi et mon pote Martin, suivions avec attention chaque minute diffusée sur Radio-Canada en même temps que nous travaillions sur les ordinateurs de la faculté des arts. On avait même eu un petit privilège de la part du Centre de calcul de l’Université : l’accès à un réseau interuniversitaire.
Sans qu’on soit vraiment conscient de la portée de cette nouveauté, on nous avait attribué une adresse électronique qui permettait, entre autres possibilités, de s’abonner à des listes de discussions ou des forums, des carrefours déjà virtuels où s’échangeaient des récits édifiants sur le quotidien de la guerre du Golfe. Les auteurs de ces textes étaient israéliens, libanais, égyptiens, jordaniens, irakiens... On avait l’impression de vivre en temps réel ce qu’ils nous racontaient : les missiles qui passaient au-dessus de leurs têtes, les explosions, les tirs… Nous découvrions, le lendemain seulement, à la télévision ou dans la presse, les images de ce que nous avions lu la veille au soir sur les écrans de nos ordinateurs. Jamais l’information n’avait été aussi rapide et surtout « gratuite », car elle ne nécessitait pas d’abonnement — très coûteux — aux téléscripteurs des agences de presse de l’époque que seuls de grands médias pouvaient s’offrir.
Néanmoins, le manque de transparence de ces nouvelles sources d’informations nous posait déjà un problème de traçabilité.
Je suis rentré en France en 1994. Internet, encore fantasmé dans notre quotidien sous l’appellation « autoroute de l’information », n’arrivait que dans quelques sphères privilégiées. J’ai dû patienter trois ans pour m’offrir mon premier accès analogique à internet depuis mon domicile. J’étais alors pigiste et je travaillais pour le compte de plusieurs médias de presse écrite. Le web me permettait d’accéder à certaines bases de données, ce qui me faisait gagner un temps précieux lorsqu’on est journaliste indépendant et donc autogéré.
Un jour, un journal régional anglais m’appelle pour me commander un papier sur les enjeux des laboratoires de déchets radioactifs, dossier que je suivais pour le quotidien Aujourd’hui en France. Il y avait une petite surprise technologique à la clef : pour la première fois, je devais envoyer mon papier par courriel pour publication le lendemain — il allait être traduit dans la nuit. Je me souviens avoir été amusé par la situation : la veille, j’avais dicté au téléphone le même article à ma rédaction parisienne qui ne l’avait toujours pas publié…
Entre Bagdad et Moncton en 1991, la distance avait été effectuée en une fraction de seconde comme cela était alors possible entre Londres et Paris, en 1997. Je pense que j’ai fait un rapprochement entre ces deux faits, parce qu’ils avaient le même fond. Je me rendais compte que le lieu d’où on émettait et celui où on pouvait recevoir n’avaient plus vraiment d’importance. Qu’ils soient proches ou éloignés, l’information transmise entre ces deux points restait la même sur le fond et surtout sur la forme, car il n’y avait plus de dégradation de la qualité du message.
Pour l’internaute technophile insatiable que j’étais alors — et que je suis toujours —, le début des années 2000 aura été pour moi « la décennie de tous les possibles », parfois au grand désespoir de mon portefeuille. Entre les assistants numériques personnels (PDA), les téléphones intelligents, la miniaturisation des unités de stockage de données (mémoires flash et disques durs), les ordinateurs portables et les appareils photo numériques, mon obsession quotidienne était, bien évidemment, que tout ce petit monde se comprenne mutuellement pour s'insérer dans le village international désormais à portée d'esprit. Dans mes fantasmes effrénés de geek, je rêvais à l’objet unique capable de... « tout » !
Mais j’ai dû me rendre à l’évidence.
« Disposerons-nous, chacun, d’un terminal unique, universel, simplement parce que c’est techniquement possible ? Son arrivée sur le marché est très peu probable, en raison précisément de la multiplicité des services et du poids des habitudes ou, plus simplement, de celui de la commodité d’usage. Les terminaux, demain, seront peut-être polyvalents, pour quelques-uns d’entre eux : les plus nombreux seront dédiés à une fonction, voire à deux seulement. » (Balle, 2009: 216)
À juste titre, je me retrouve aujourd’hui avec une panoplie de iBidules et de net.trucs qui communiquent tous entre eux. Est-ce vraiment utile ? Ça ne regarde que moi.
Bibliographie
Balle, Francis. 2009. Médias & sociétés, (14ème édition). Paris : Montchrestien, Lextenso éditions. 833 p.
Société Radio-Canada. (1991, mise à jour le 7 mars 2008). La guerre du Golfe éclate. Les Archives de Radio-Canada. URL : http://archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/conflits_moyen_orient/clips/1051/ (consulté le 5 février 2011)

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