mercredi 13 avril 2011

Régulation et démocratie : l'amour impossible ?

Billet relatif au module #13

Lorsque Marc Raboy et Thierry Vedel envisagent « la [nécessaire] régulation des communications à l’ère numérique » (2005) Ils la justifient d’abord par leur histoire puis surtout par les phénomènes, plus contemporains ceux-là, de convergence des médias que l’on ne peut qu’admettre en observant le comportement de l’utilisateur moyen.
La donne change. Autrement dit, on ne regarde/consomme plus la télévision/vidéo de la même façon qu’il y a encore quelques années. Les chiffres que vient de publier Video Metrix* sont assez évocateurs :
« Google Sites a aussi comptabilisé le plus grand nombre de vues [aux États-Unis] — presque deux milliards — et enregistre la plus grande moyenne de temps par spectateur, avec 4,6 heures passées à regarder du contenu vidéo sur le site durant le mois [de mars]. » (RelaxNews, 2011)

Vieux slogan soixante-huitard repris par Loup.
Autant dire que la tendance veut que l’on passe plus de temps « à regarder la télé » sur nos ordinateurs, nos tablettes, nos téléphones... Bref, nos écrans que devant l’objet « télévision » lui-même.
Rien de surprenant à cela. On dira vite fait bien fait que « c’est l’époque ! »
Mais à travers ce phénomène de déplacement de la consommation de l’information, il y a évidemment un déplacement de l’information générée. Les technologies numériques étant capables de transmettre aussi rapidement qu’elles les captent les informations. Si une simple habitude de mono-consommation — « j’achète toujours la même marque de beurre » ou « j’achète toujours la même marque de maïs à souffler » — révèle peu de choses en soi, la somme de ces deux informations devient beaucoup plus intéressante pour le marketing — « le beurre donne un bon goût au pop corn, il vous faut donc plus de beurre ». Cette association de deux habitudes de communication à un seul et même acteur est une réalisation que le numérique permet à moindres frais et en temps réel.
Sous cette forme, la publicité, la communication d’entreprise ou commerciale, le marketing ne sont plus perçus comme des messages envahissants, mais comme des informations d’intérêt public puisque touchant la corde sensible du consommateur. L’invasion commerciale dans nos vies de citoyens disparaît donc. En apparence seulement...
On imagine sans mal pouvoir décliner ces simples démarches mercantiles relativement anodines en intentions les plus malsaines, qu’elles soient d’ordre commercial, mais aussi politique, économique, écologique. La régulation des communications — qui inclut donc Internet — est, on le voit, on ne peut plus indispensable : chacun (citoyen, entreprise, association, pouvoir public, communauté, organisation internationale...) doit y trouver l’espace nécessaire pour s’y exprimer, débattre, chercher, prendre sous toute forme, quelle qu’elle soit.
 
Et pour que nous soyons tous égaux devant le numérique, pour que nous ne soyons ni dominés ni dominants, on imaginerait alors une vaste commission internationale regroupant toutes les représentations des nos multiples sociétés terriennes pour surveiller tout ça ? Cela suppose de chaque citoyen une parfaite maîtrise des nombreuses définitions la démocratie, lesquelles auront toujours une acception culturelle propre à la géopolitique des territoires d’où elle est issue. Un schéma qu’on a même du mal à concevoir, intrinsèquement.
« En fin de compte, la possibilité d’une régulation démocratique d’Internet découle non seulement d’un accord sur ce qu’on entend par démocratie2 et sur une définition précise des différents droits qui y sont attachés, mais également sur l’établissement d’une hiérarchie entre les différents droits qu’un individu peut légitimement revendiquer dans une démocratie. » (Raboy & Vedel, 2005)
Le problème est qu’il faut y penser et très sérieusement. Car en matière de création de technologies qui accélèrent la transmission de l’information, il est peu probable qu’on veuille réguler l’innovation, voire lui faire observer une certaine éthique. Ce qui nous bouleverse, c’est que notre pensée serait presque à la traîne de nos propres inventions.

Notes
* « Video Metrix® de comScore fournit la mesure transparente et du début à la fin sur les vidéos requise pour garantir l’extensibilité, la croissance et la réussite sur le marché de la vidéo en ligne. » (comScore, 2011)

** Les auteurs citent à ce sujet HOFF, Jens, Ivan HORROCKS et Pieter TOPS (dir.) (2000). Democracy Governance and New Technology : Technology Mediated Innovations in Political Practice in Western Europe, Londres : Routledge.
 
Bibliographie
comScore. 2011. « Un aperçu complet sur le paysage de la vidéo en ligne ». in Video Metrix, comScore. En ligne : http://www.comscore.com/fre/Products_Services/Product_Index/Video_Metrix. Consulté le 13 avril 2011.
 
Raboy, Marc & Vedel, Thierry. 2005. « La régulation des communications à l'ère numérique ». In Proulx, Serge, Massit-Folléa, Françoise & Conein, Bernard (dir.), Internet, une utopie limitée : nouvelles régulations, nouvelles solidarités. Québec: Presses de l'Université Laval. pp. 307-332.
 
RelaxNews. 2011. « Plus de huit internautes américains sur dix regardent des vidéos en ligne ». Technaute.ca. Montréal : Gesca. En ligne le 13 avril 2011: http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201104/13/01-4389510-plus-de-huit-internautes-americains-sur-dix-regardent-des-videos-en-ligne.php. Consulté le 13 avril 2011.

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